L’histoire de Gattefossé commence en 1880, lorsque Louis, âgé de 26 ans, s’installe à Lyon.

Il vit avec sa femme Marie-Eugénie et leurs deux enfants, Abel et Marie-Louise (Louis et Marie-Eugénie auront au total cinq enfants : Abel, Marie-Louise, René-Maurice, Robert et Jean).

Louis, qui dirigeait un entrepôt de bière à Vesoul en Haute-Saône, vient d’être embauché par Seghers & Maréchal, fabrique lyonnaise de toiles cirées, pour devenir leur représentant. Peu à peu, le portefeuille de Louis s’étend au papier photographique, à la vaseline, aux cires minérales et aux huiles dérivées du pétrole, jusqu’à constituer un panel d’articles issus, essentiellement, de la chimie – qui formeront plus tard les matières premières des produits de Gattefossé.

Louis et Marie-Louise, sa fille, au chant.

En 1894, à l’occasion de l’Exposition universelle qui se tient à Lyon, Louis noue des relations avec des maisons de parfumerie.

Il entame dès lors un négoce d’huiles essentielles d’agrumes en provenance de Sicile, d’essences déterpénées produites en Allemagne et en Suisse, de matières premières cosmétiques fabriquées par des sociétés allemandes et belges. Il se lance aussi dans la confection de compositions aromatiques à destination de clients parfumeurs – eaux de Cologne, “crèmes divines” ou “cold cream”, dont il note les formulations sur de petits carnets. On peut dater de ce moment-là la naissance, sinon de l’entreprise, du moins de l’activité originelle de fabrication de Gattefossé.

En 1895, Abel Gattefossé, âgé de 18 ans, commence à travailler aux côtés de son père. René-Maurice, second fils de Louis, les rejoint une dizaine d’années plus tard, au terme de ses études de chimie à l’Université de Lyon. Il est chargé de la recherche et de la production au sein du “laboratoire”, qui n’est alors qu’un appentis dans le jardin de la villa familiale, située à Montchat, un quartier de l’agglomération lyonnaise. Le commerce est mené par Abel et Louis. En 1906, ce dernier prend sa retraite, laissant la gestion de l’affaire à ses fils aînés.

Les Gattefossé sortent meurtris de la Première Guerre Mondiale. Abel et Robert ont été emportés, et, sur le plan financier, l’entreprise familiale est devenue très vulnérable. René-Maurice décide alors de créer une nouvelle affaire en faisant appel à des investisseurs extérieurs. En 1919, il fonde, avec plusieurs associés industriels, la Société Française de Produits Aromatiques, anciens établissements Gattefossé. René-Maurice, qui apporte en nature le fonds de commerce issu de Gattefossé & Fils, ne détient que 8 % des parts.

Immédiatement, la SFPA quitte le quartier de Montchat pour Villeurbanne, une ville qui jouxte Lyon, où est construite une vaste usine, comportant une dizaine d’ateliers et de laboratoires, équipés de matériels dernier cri. La parfumerie est toujours, à cette époque, son activité principale.

La SFPA se dote d’un efficace réseau commercial à travers l’ouverture de nombreuses agences de représentation de par le monde. René-Maurice confie à son neveu Louis Schmuck la direction du bureau parisien et à son plus jeune frère, Jean, la prospection de nouvelles espèces botaniques au Maroc et dans les colonies.

Jean et la SFPA nouent des relations avec des fournisseurs dans le monde entier, font venir l’essence de girofle et de cannelle de Madagascar, celle de niaouli et de badiane d’Indochine, celle de cèdre du Maroc.

Les essences de rose arrivent de Bulgarie, les menthes d’Amérique… « Ne travaillant que les produits les plus purs et les plus parfaits », ainsi que le clament les publicités, la SFPA propose à ses clients la gamme Argos, qui rassemble des huiles essentielles d’hespéridées de Sicile (citron, orange douce, bergamote…), mais aussi de nombreuses matières premières de synthèse et des parfums dits “artificiels”, tels Lotex (violette, jasmin, quinine, mimosa) ou Taylor (acacia, rose blanche, origan).

Jean devient aussi le rédacteur en chef de La Parfumerie Moderne qui poursuit son œuvre de “propagande” auprès de la parfumerie française.

La revue permet aussi à la SFPA de bénéficier directement de précieux renseignements sur les matières premières végétales qu’elle utilise pour fabriquer ses produits. D’éminents botanistes publient dans ses pages leurs résultats.

En janvier 1907, Abel et René-Maurice créent Gattefossé & Fils. Pour la première fois, l’affaire familiale prend la forme juridique d’une entreprise. Les deux fils poursuivent l’œuvre de leur père Louis, Abel demeurant aux manettes commerciales, René-Maurice à la recherche. Ce dernier, désireux de sensibiliser ses clients à l’usage des parfums synthétiques – nouveaux sur le marché et souvent décriés – publie plusieurs formulaires qui obtiendront un grand succès.

René-Maurice s’intéresse aux matières premières “naturelles” et en particulier aux huiles essentielles.

En 1907, sous l’instigation du président de l’Union du Sud-Est des Syndicats Agricoles qui souhaite valoriser la lavande française, René-Maurice se rend en Haute Provence visiter les baïassières, ces grandes étendues de lavande sauvage. Il découvre un territoire laissé en déshérence et rencontre des lavandiculteurs qui travaillent dans des conditions rudimentaires. Très vite, il multiplie les actions pour à la fois améliorer la qualité de la production, augmenter les rendements, moderniser le matériel, “éduquer” les producteurs et organiser la profession. Il perfectionne le fonctionnement des alambics, dépose un brevet, participe à la création d’un syndicat de producteurs d’essence de lavande, achète une usine de distillation à vapeur, organise une coopérative de lavandiculteurs…

Porté par le succès de son engagement en faveur de la lavande provençale, René-Maurice lance en 1908 La Parfumerie Moderne, une revue professionnelle qui s’adresse aux parfumeurs, mais aussi aux producteurs d’essences, aux ingénieurs, aux agronomes.

Tout en soutenant les intérêts de l’ensemble de la filière, La Parfumerie Moderne est aussi un outil de communication indirect pour l’entreprise.

Lorsqu’éclate la Première Guerre Mondiale, les trois frères Gattefossé – Abel, René-Maurice et le jeune Robert, troisième fils de Louis – sont mobilisés. Des trois, seul René-Maurice survivra. Blessé en 1915, ce dernier reprend ses activités professionnelles tout en se lançant corps et âme dans la promotion des vertus thérapeutiques des huiles essentielles qui, pense-t-il, peuvent sauver des vies en cette période si meurtrière.

C’est en 1910 que René-Maurice a personnellement expérimenté le pouvoir antiseptique et cicatrisant de l’huile essentielle de lavande. Atteint de gangrène gazeuse des deux mains suite à une explosion au laboratoire, il a l’idée d’appliquer cette essence sur ses plaies infectées. Guéri, il décide de se consacrer à l’étude de cette nouvelle thérapeutique. En 1916, il met au point le Salvol, « désinfectant aromatique » qu’il va faire expérimenter dans les hôpitaux, auprès des militaires d’abord, puis des civils lors de l’épidémie de grippe espagnole en 1918. Soutenu par des médecins convaincus, René-Maurice s’attache aussi à démontrer l’intérêt d’utiliser des essences déterpénées, qui, selon lui, sont plus solubles dans l’eau que les essences brutes. Une étape importante dans l’histoire de l’aromathérapie.

À l’hôpital lyonnais de l’Antiquaille, au sein du service de syphiligraphie du Professeur Jean Gaté, René-Maurice expérimente pendant les années 1930 les effets thérapeutiques des huiles essentielles, utilisant, pour ses préparations, les excipients émulsionnés de son gendre.

Il vient de publier la synthèse du travail qu’il mène depuis deux décennies, ainsi qu’un état des lieux des données scientifiques, chimiques et pharmacologiques disponibles sur le sujet dans un ouvrage intitulé Aromathérapie – un terme dont il est l’inventeur.

Envisageant une seconde édition, qui ne verra jamais le jour, il multiplie en cette période les expérimentations cliniques.

En 1940, René-Maurice achète un mas à côté de Saint-Rémy-de-Provence (dans le sud de la France), où il fait planter de la lavande, de la menthe, de la sauge, et d’autres aromatiques. Il y trouve un environnement propice pour rédiger de nombreux ouvrages relatifs à la cosmétique.

Le 21 avril 1950, René-Maurice, en visite chez son frère Jean, demeurant à Casablanca, au Maroc, est brusquement emporté par un œdème pulmonaire.

En 1904, les Gattefossé s’installent à Montchat, un quartier à l’Est de Lyon. Le commerce est mené par Abel et Louis. René-Maurice assure la partie « recherche » et production : au laboratoire, il distille des essences, fabrique des compositions de parfumerie et des applications hygiéniques ou antiseptiques. Blanche Schmuck, son épouse, Henriette Dupret, l’épouse d’Abel, et Marie-Eugénie (l’épouse de Louis), s’occupent des tâches administratives.

Pendant la Première Guerre mondiale et en l’absence des frères Gattefossé, c’est Blanche qui conduit les affaires.

Aidée par Henriette et Jean qui termine ses études, elle dirige l’entreprise. Elle fait face aux grandes difficultés financières qui l’assaillent, tout en s’occupant de ses deux enfants et même en étant enceinte en 1916.

Blanche au laboratoire, 1917.

En 1916, démobilisé, et ne travaillant pas encore à la poudrerie de Feyzin, René-Maurice continue de prendre toutes sortes d’initiatives pour promouvoir la culture des plantes aromatiques. Cette année-là, il crée avec son ami Antoine Vial une coopérative de lavandiers, à Sault-en-Vaucluse : la « Société de la Lavande Française ». Blanche sera mise à contribution et suivra, aux côtés de Vial, les coupes et distillations de lavande.

Le 21 avril, René-Maurice meurt subitement à Casablanca au Maroc, alors qu’il rend visite à son frère Jean, botaniste. La succession à la tête de l’entreprise est immédiatement orchestrée : « nous organisons l’entreprise pour que Blanche y trouve place », peut-on lire sous la plume de Marcel.

L’épouse de René-Maurice est nommée Présidente, son fils Marcel devenant directeur général et son gendre Émile directeur technique.

Blanche est épaulée par les deux amis et administrateurs que sont Aymé Bernard et Pierre Argence.

Blanche conservera cette fonction pendant presque vingt ans, puisqu’elle ne cèdera la place à son fils Henri-Marcel qu’en 1968. Bien qu’étant loin de l’opérationnel, elle se tient au courant du détail des affaires ; son fils vient lui en rendre compte quotidiennement. Par la suite, elle viendra souvent le matin dans les bureaux de la rue Constant, à deux pas de chez elle, pour assister à la lecture commune du courrier du jour, des commandes en particulier, souvent amère et déçue de l’absence de commandes d’huiles essentielles.

Henri-Marcel Gattefossé – qui se fait plus volontiers appeler Marcel –, fils de René-Maurice, rejoint la SFPA (Société Française de Produits Aromatiques, anciens établissements Gattefossé) dans les années 1930 aux côtés d’Émile Mahler (lien). À travers sa rencontre avec le Docteur Jonquières, il participe à développer la fabrication de produits vétérinaires, puis dermatologiques.

À l’hôpital lyonnais de l’Antiquaille, au sein du service de syphiligraphie du Professeur Jean Gaté, Marcel réalise à partir de 1938 des essais avec les nouvelles pommades, émulsionnées, inventées par Émile. Celles-ci, qui s’avèrent d’excellents substituts à la vaseline et aux gelées de pétrole, signent pour Gattefossé son entrée dans la dermatologie.

Parallèlement à l’activité dermatologique et aux collaborations hospitalières, la cosmétique prend de l’ampleur jusqu’à devenir la branche la plus florissante de l’entreprise : Marcel et René-Maurice y consacrent la majeure partie de leurs recherches.

En 1946, à la sortie de la seconde guerre mondiale, ils voient se concrétiser l’avancée de leurs travaux par la délivrance d’un brevet relatif aux procédés de fabrication des pommades testées à l’hôpital de l’Antiquaille. La même année, un brevet pour une huile capillaire assied la crédibilité de la SFPA dans ce domaine.

En avril 1950, à la mort de René-Maurice (lien), Marcel devient directeur général. Puis dans les années 1960, la direction générale de Gattefossé SA se partage entre Marcel et son beau-frère Émile.

Gattefossé participe à la création de plusieurs enseignements et séminaires à l’université, dont les travaux pratiques se déroulent au sein de ses laboratoires.

Dans la continuité de cette ouverture, qui permet à l’entreprise de rayonner hors de ses murs, Marcel, avec la complicité des Professeurs Dolique et Etter, et de Bernard Guillot, crée en 1966 les Journées Galéniques de Saint-Rémy-de-Provence.

Celles-ci réunissent chaque été des collègues, des amis industriels et des professeurs d’université dans le but d’échanger sur des questions professionnelles. Comme René-Maurice l’avait fait à la génération précédente en travaillant avec des médecins et des pharmaciens, Marcel initie avec ces journées des collaborations au long cours qui permettront à l’entreprise de progresser et de défricher de nouveaux terrains de jeux.

L’année 1975 représente un point de bascule dans l’histoire de l’entreprise. Après vingt-cinq ans d’une croissance remarquable, Gattefossé entre dans une période de contraction. La crise, qui atteint tous les pays industrialisés à la suite du choc pétrolier, ne l’épargne pas et Marcel, âgé de 65 ans, fait part au conseil d’administration de son souhait d’être épaulé et déchargé en partie de la direction opérationnelle de l’entreprise.

Dans les années 1930, un tournant s’amorce avec l’arrivée dans l’entreprise (alors nommée SFPA : Société Française de Produits Aromatiques) d’une nouvelle génération incarnée par les chimistes Henri-Marcel Gattefossé  et Émile Mahler, respectivement fils et gendre de René-Maurice – Émile a rejoint la société et la famille à l’occasion de son mariage avec la fille de René-Maurice en 1937-.

En se lançant dans la fabrication de nouveaux excipients émulsionnés, Émile introduit la chimie des lipides et la galénique dans l’entreprise.

C’est un moment essentiel pour la vie de Gattefossé, car il détermine pour une bonne part son orientation au cours des décennies suivantes : encore aujourd’hui, la chimie des lipides est au cœur de son activité.

Le 21 avril 1950, René-Maurice est brusquement emporté par un œdème pulmonaire. Émile est nommé directeur technique.

En 1953, dans le cadre d’un travail mené à la demande de la Société Industrielle des Oléagineux (SIO), Émile mène l’étude physico-chimique des “prototypes” de suppositoires. Une fois testé dans un hôpital parisien afin de confirmer sa bonne tolérance physiologique, le produit est enregistré en 1954 sous la marque Suppocire® par Gattefossé, qui signe un contrat d’exclusivité avec la SIO.

Suppocire ® va représenter un succès commercial et industriel notable et fera de Gattefossé le plus important fournisseur de masses pour suppositoires en France.

L’interestérification des huiles, réalisée par la SIO pour fabriquer les Suppocire®, conduit Émile à étudier de plus près le processus chimique en question. Il réussit à cette occasion à transformer une huile végétale en la rendant hydrophile. C’est ainsi que naissent les Labrafil®, qui font l’objet d’un dépôt de marque en 1954 et d’un dépôt de brevet en 1956.

En 1961, la SFPA devient officiellement Gattefossé Société Anonyme.

La technologie évolue et le catalogue de références continue de s’étoffer – Tefose®, Gelucire®, Plurol®, Labrafac™ et Labrasol® font leur apparition. La gamme des Suppocire® et des Labrafil® s’élargit, grâce aux essais réalisés chez les clients et au sein du laboratoire d’applications. Avec l’aide de Lucien Waginaire, un chimiste récemment embauché – qui jouera un rôle décisif au cours des années suivantes –, Émile crée les Lipocire™, cousines cosmétiques des Suppocire®, destinées à intégrer les formulations des rouges à lèvres.

En 1975, la direction générale s’ouvre à des personnes extérieures à la famille Gattefossé. Après Libéro Penna et Bernard Glas, c’est Bernard Perrot qui impose son style à partir de 1986, mettant en place un important travail de structuration de l’entreprise pour mener de front modernisation industrielle et organisationnelle. Du côté de la famille, les représentants de la quatrième génération ont fait leur entrée à la fin des années 1970.

Jacques Moyrand, gendre d’Henri-Marcel, s’investit dans l’élargissement du réseau export ; Bruno Mahler, fils d’Émile, est en charge du développement technique.

En 1980, l’entreprise désormais centenaire est présente dans quarante-deux pays. Elle est le deuxième fournisseur mondial de masses pour suppositoires, le troisième fournisseur européen d’esters d’acides gras et le deuxième fournisseur mondial d’extraits biologiques et végétaux pour la cosmétique.

Jacques Moyrand en 1980.

En ce début des années 1980, Gattefossé décide de mettre un coup d’accélérateur à son développement international. Jacques Moyrand va en devenir la cheville ouvrière. La nouvelle stratégie se caractérise par une implantation directe dans les pays où les perspectives de croissance sont importantes. Entre 1979 et 1989, Gattefossé ouvre ainsi des filiales en Suisse, aux États-Unis, en Espagne, en Allemagne et en Italie. Ailleurs, l’entreprise continue de s’appuyer sur des distributeurs pour vendre ses produits.

Succédant à Bernard Perrot, Jacques Moyrand accède à la présidence de Gattefossé en 1997. En deux ans, le chiffre d’affaires augmente significativement. En 1999, plus de 50 % des ventes sont réalisées à l’export.

En 2017, vingt ans après l’arrivée de Jacques Moyrand à la présidence de l’entreprise, le chiffre d’affaires de Gattefossé dépasse la barre des 100 millions d’euros. Près de 70 % des ventes sont réalisées en dehors du territoire national ; elles sont également réparties entre les domaines de la pharmacie et de la cosmétique.

En 2008, Gattefossé crée une fondation d’entreprise.

Présidée par Françoise-Sophie Moyrand, petite-fille de René-Maurice Gattefossé, elle a pour vocation d’encourager la pratique de l’aromathérapie comme approche thérapeutique complémentaire de la médecine allopathique classique, en milieu hospitalier et dans toutes les disciplines médicales.

Les domaines prioritaires sont : l’infectiologie, les soins prolongés en oncologie, la gériatrie, les soins palliatifs, la psychiatrie, la gestion de la douleur.

La Fondation Gattefossé entend ainsi contribuer à l’amélioration de la qualité de vie et de l’accompagnement du patient tout au long de son parcours de soin.